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Annoter ses livres : sacrilège ou déclaration d’amour ?
Publié le 7 avril 2025 à 12h38

Écrire dans un livre est-il un crime ou une preuve d’attachement ? Certains lecteurs refusent catégoriquement de marquer leurs pages, préférant conserver leurs ouvrages en parfait état. D’autres, au contraire, considèrent l’annotation comme une forme de dialogue intime avec le texte, un moyen de prolonger l’expérience de lecture. Entre respect de l’objet-livre et appropriation personnelle, la pratique divise. Décryptage d’un débat passionné.
Si vous avez déjà hésité à souligner une phrase percutante ou à noter une réflexion en marge d’une page, vous n’êtes pas seul. Pour certains, l’idée même de corner une page pourrait les faire tourner de l’œil, alors écrire dedans ? Une hérésie. Un livre devrait rester intact, immaculé, préservé comme un trésor. Une fois imprimé, son contenu ne devrait pas être altéré, comme s’il s’agissait d’un objet sacré.
Mais d’autres voient les choses différemment. Pour eux, un livre est une matière vivante qui se glisse dans une poche, un vieux sac ou qui reste ouvert sur un chevet, la tranche usée. Lire, ce n’est pas un acte passif, mais une conversation avec l’auteur, un échange intellectuel ou émotionnel. L’annotation permet de laisser une trace, d’inscrire noir sur blanc une réaction spontanée, de prolonger la lecture bien au-delà de la dernière page.
Entre ces deux visions opposées, le débat ne date pas d’hier. Nombreux sont ceux qui ont couvert leurs livres de commentaires, transformant ces objets imprimés en véritables laboratoires de pensée. Peut-être, finalement, annoter un livre, ce n’est pas le trahir, mais au contraire prolonger son existence, le faire vivre au-delà de ses propres mots.
L’annotation, un remède contre l’oubli
Il y a quelque chose de frustrant à refermer un livre après l’avoir terminé. On a voyagé, été secoué, inspiré, ému... et pourtant, tout disparaît une fois la dernière page tournée. L’annotation est une manière de lutter contre cet effacement, de refuser l’oubli. Elle capture une pensée fugace, fige un instant de dialogue entre soi et le texte.
Et si un livre annoté par soi-même est déjà un trésor, que dire d’un livre annoté par quelqu’un d’autre ? Ouvrir un roman qui a déjà été lu, y découvrir des notes et des passages soulignés, c’est comme tendre l’oreille à une voix venue d’ailleurs. C’est une lecture à plusieurs niveaux, une superposition d’impressions, une immersion dans l’esprit d’un autre lecteur. D’ailleurs, il n’est pas rare de trouver, dans les bibliothèques ou les librairies de seconde main, des ouvrages chargés de commentaires anonymes. Ces notes racontent des histoires parallèles à celles du livre lui-même, révélant tour à tour l’enthousiasme d’un lecteur passionné ou l’agacement d’un esprit critique.
Mais si on veut annoter sans « abîmer » ?
Malgré tout, certains hésitent encore. Écrire dans un livre, c’est irréversible. Que faire si l’on change d’avis ? Si l’on regrette un commentaire ? Si l’on veut prêter son livre sans imposer sa lecture à un autre ?
Heureusement, il existe des alternatives autres qu’acheter ses livres en double. Post-it transparents, washi tape, stylos effaçables, crayons à papier ou encore d’adorables marques page en crochet : autant de solutions pour annoter sans altérer définitivement un livre. Certains préfèrent tenir un carnet de lecture, y consignant leurs impressions et citations préférées. D'autres vont plus loin et transforment ces carnets en journaux de bord, agrémentés de collages et de dessins. Bien évidemment, pour les adeptes du numérique, des applications permettent de compiler réflexions et annotations sans toucher au livre. Une manière moderne de dialoguer avec un texte tout en préservant l’objet.
Annoter un livre relève avant tout du rapport personnel à la lecture. Certains garderont leurs ouvrages impeccables, tandis que d’autres les transformeront en palimpsestes de leurs pensées et émotions. Mais une chose est sûre : nos lectures nous transforment. Pourquoi ne pas en laisser une trace ? Comme le disait Umberto Eco, « Les livres ne sont pas faits pour être crus, mais pour être soumis à l'examen. Devant un livre, nous ne devons pas nous demander ce qu'il dit mais ce qu'il veut dire. »
Et vous, êtes-vous plutôt lecteur contemplatif ou annotateur passionné ?
Autrice : Carla P
Crédit photo : Toa Heftiba/Unsplash