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Ex-libris : de l’art de posséder un livre

Publié le 12 novembre 2024 à 14h46

Des vieux livres abimés par le temps, sur une table en bois devant une bibliothèque
Des vieux livres abimés par le temps, sur une table en bois devant une bibliothèque

À l’ère du numérique, un art très analogique revient embellir nos bibliothèques : les ex-libris. Ces sceaux personnalisés, apposés à l’intérieur des ouvrages, séduisent à nouveau les amoureux des livres.

Devant la librairie Shakespeare & Co à Paris, la file d’attente ne semble jamais en finir. L’aura du lieu ou de son offre de livres en anglais en seraient-elles les raisons ? En partie, oui. Une autre raison attire les curieux : celui de pouvoir faire tamponner sa nouvelle acquisition du sceau de ce repère international de bibliophiles. En latin, ex libris signifie « de (ou provenant de) la bibliothèque de ». Il est couramment utilisé pour désigner une étiquette ou une inscription apposée à l'intérieur d'un livre afin d'indiquer à qui il appartient.

Les ex-libris, qui fleurissent au XVe siècle avec l’avènement de l’imprimerie, sont à l’origine de petits blasons ou armoiries destinés à marquer la propriété d’un livre. Les grands collectionneurs, souvent issus de la noblesse ou des élites intellectuelles, les utilisaient pour protéger leurs ouvrages des pertes et des emprunts oubliés. Avec le temps, ces derniers deviennent des œuvres d’art à part entière, qui reflètent la personnalité, les passions et les valeurs de leur propriétaire. Seulement, au XXe siècle, l’essor des bibliothèques publiques et des livres de poche rend cet art moins populaire. Désormais ils ne seraient l’affaire que de quelques collectionneurs bibliophiles… à moins que ?

Morgane Rospars, de la mode aux ex-libris

Morgane Rospars s’est imposée comme l’une des créatrices d’ex-libris les plus inspirantes. Graphiste de formation, elle découvre l’existence de cette tradition par hasard, sur les bancs de l’école, lorsqu’un professeur aborde le sujet brièvement. « Une anecdote qui n’a pas pris plus de cinq secondes mais qui, étrangement, ne m’a jamais quittée, jusqu’à ce que je conçoive mon premier, dix ans plus tard. » se souvient-elle.

En cherchant un cadeau pour son conjoint passionné de lecture, elle se remémore ces petits sceaux. Mais ses recherches n’aboutissent que sur des modèles trop classiques et austères. Morgane décide alors de créer un ex-libris de A à Z. Ce premier essai suscite l’enthousiasme, et c’est ainsi qu’elle se lance dans l’aventure, d’abord comme un projet artistique, puis à temps plein.

Un art personnalisé et poétique

Pour Morgane, un ex-libris est bien plus qu’un simple tampon. Chaque projet est un voyage collaboratif avec le client, une réflexion sur l’identité, les valeurs et les passions de la personne. « Dire ce qu'on veut, soi-même, se définir soi-même, c'est quand même un truc super dur », souligne-t-elle. Avec sensibilité, elle guide ses clients en leur posant des questions : « Parlez-moi de ce que vous aimez dans la vie, ce que vous faites comme boulot, quel est votre rêve ultime ? »

Cette démarche aboutit à des œuvres qui marient détails poétiques et symboles intimes. Ses créations puisent souvent dans la nature et la Bretagne, deux thèmes chers à la créatrice : « Mes inspirations favorites, la nature, les oiseaux, de plus en plus. » Au fil des projets, elle enrichit ses motifs, créant des scènes de lecture, des oiseaux en vol ou des éléments marins, toujours dans un style fin et poétique.

Entre tradition et modernité

Pour atteindre une précision parfaite, Morgane Rospars s’appuie sur des machines laser capables de reproduire la finesse de ses dessins. Cette approche lui permet de jouer avec les détails les plus délicats et d’obtenir un résultat d’une grande fidélité. « Entre ce que j'ai dessiné et ce qui est tamponné sur le papier, il n'y a pas de différence, » explique-t-elle. Cette alliance entre artisanat et technologie rend ses ex-libris aussi précis que les gravures des maîtres du passé, tout en offrant aux clients un rendu impeccable.

La résurgence de cette tradition reflète sans doute un besoin de retour aux objets tangibles et à une forme de luxe où chaque détail compte. Dans un monde de plus en plus dématérialisé, ces marques personnalisées rappellent la valeur unique du papier, des reliures et de la possession d’un livre. Plus qu’un simple logo ou une signature, chacun devient une œuvre qui capture l’essence du lecteur, un héritage à transmettre ou à contempler.

Pour Morgane Rospars, il s’agit d’un hommage personnel, un trait d’union entre l’art et l’intimité : « On va unir ces deux idées dans un seul et même dessin. » Chaque œuvre porte ainsi la trace de l’âme de son propriétaire, renouant avec une tradition ancienne tout en répondant aux aspirations modernes. Avec le retour de cet art, les amoureux du livre redécouvrent le plaisir de posséder, de personnaliser, et de célébrer leurs lectures. Plus qu’un simple marquage, l’ex-libris devient une déclaration personnelle, une empreinte unique et un symbole raffiné de l’art de constituer sa bibliothèque.

Autrice : Carla P

Crédit photo : aeduard / iStock

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