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A Rochefort, un piano de guerre retrouve son éclat
Publié le 20 novembre 2024 à 16h43
À 26 ans, Théo Taillasson, un passionné d’histoire et d’art redonne vie à un instrument conçu pour les soldats américains en pleine Seconde Guerre mondiale qu’il a déniché… sur leboncoin.
Installé à Rochefort, Théo Taillasson, 26 ans, n’en revient toujours pas. D’abord étudiant en histoire de l’art, il confie : « Je suis passionné d’histoire, mais je n’avais pas envie de partir dans un cursus trop classique. Aborder cette discipline par le biais des arts, je trouvais ça intéressant. » C’est dans cette optique qu’il se tourne vers la restauration d’instruments, découvrant un métier mêlant patrimoine et savoir-faire. « L’idée est de me former en interne tout en restaurant ce piano exceptionnel sur mon lieu de travail ! » s’enthousiasme-t-il, en évoquant son quotidien dans une boutique de pianos à Rochefort.
De concert avec l’histoire
C’est un soir, en fouillant un site d’annonces, que Théo tombe sur le piano qui va bouleverser son parcours. « J’avais mis une alarme sur leboncoin pour un piano « Steinway & sons » (des fabricants de piano très connus, ndlr.) pour ne louper aucun recensement, » raconte Théo Taillasson. Un soir, il tombe sur une annonce pour un modèle de piano rare, surnommé le « Victory ». « C’est assez exceptionnel car même s’il y en a plusieurs en France, ce sont des pianos uniques en leur genre ! On en a très peu produit à l’époque. » détaille-t-il.
En effet, ce piano, fabriqué pendant la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1942, pour les soldats américains, est une pièce chargée d’histoire. Le Steinway « Victory » devait notamment être assez compact pour être transporté sur le front. Ce modèle a aussi une particularité liée aux contraintes de l’effort de guerre : ses cordes, au lieu d’être filées en cuivre comme sur les pianos classiques, sont en fer « car le cuivre était réservé à la fabrication d’armes. Face à ces pénuries, ils ont filé les cordes en fer » raconte l’apprenti.
Du boncoin à l’Italie
Bien que séduit, ce féru d’histoire ne se précipite pas, conscient des risques liés à une transaction de ce type. « Il faut tout de même s’assurer que ce n’est pas une arnaque, parce que ce sont des pianos rares. J’avais un peu peur de tomber sur une fausse annonce, » explique-t-il. Les photos fournies par le vendeur italien le rassurent toutefois, notamment celles montrant l’intérieur du piano encore teinté du vert militaire d’origine, « comme sur les Jeep ».
Quelques semaines plus tard, Théo se décide : il loue un camion et part près de Bologne, où l’attend le « Victory ». Comme annoncé, le piano est en mauvais état, mais pour le jeune apprenti, cette imperfection fait partie de son charme et de son histoire. « Comme le piano n’est pas en état de marche, qu’il a été remanié un petit peu dans tous les sens, surtout au niveau du meuble, il n’a plus sa couleur d’origine et ne sonne pas très bien, » admet-il. Cela ne l’arrête pas : il voit au contraire une opportunité unique de redonner vie à cet instrument.
Le défi de la restauration historique
Le défi technique de la restauration est de taille, mais Théo se lance avec passion, déterminé à respecter autant qu’il peut l’authenticité de l’instrument. « J’ai pris le parti de faire une restauration historique, c’est-à-dire que je garde un maximum de pièces d’origine, ne change que le strict nécessaire, et vais le repeindre dans sa couleur d’origine. » Il a même pour projet de recréer les cordes en fer, une rareté aujourd’hui, pour retrouver le son d’origine du « Victory » : « Je m’apprête moi-même à le faire pour me rapprocher au maximum du son original de cet instrument, avec le concours d’une entreprise allemande. »
A quoi ressemblerait le son de cet instrument si compact, peut-on alors se demander ? « Ce ne sont pas des pianos de concert, en termes de sonorité, il faudra voir après avoir fini la restauration pour découvrir ce qu’il a dans le coffre ! » Qu’à cela ne tienne, il s’agit avant tout de faire revivre une époque où la musique servait de soutien émotionnel en temps de guerre. Une initiative de l’armée américaine peu banale. D’ailleurs, pas besoin de se faire prier pour raconter l’anecdote étonnante des premiers modèles arrivés sur les lignes de front : « À l’origine, ils devaient être parachutés ! Mais parachute et piano, en général, ça ne fait pas très bon ménage ! Donc on peut imaginer que beaucoup ont dû être détruits à ce moment-là. »
La musique pour se souvenir
Environ 2 436 modèles de ce type ont été fabriqués pour l’armée américaine, mais aujourd’hui, il est difficile de savoir combien ont survécu. « Beaucoup ont dû être détruits pendant ou après la guerre soit parce qu’on ne savait plus quoi en faire soit parce qu’on ne se rendait pas compte de leur valeur historique. » estime Théo.
En tant que restaurateur, les jeune homme est conscient que ce genre de démarche coûteuse n’est pas toujours rentable. « Je l’ai payé 2 500 euros, ce qui n’est pas énorme en tant que pièce de collection. J’en ai vu passer à vendre aux environs de 31 000 euros, entièrement restaurés, » confie-t-il. Mais pour lui, la valeur du piano n’est pas une question de marché : « J’aime l’idée d’avoir un instrument qui soit le plus fidèle possible à ce que les soldats américains ont pu entendre sur le front. »
« Le but est quand même de le faire vivre, pas de le garder en pièce de collection et que personne n’y touche ou qu’il soit juste dans mon salon, même si ça me ferait très plaisir, » admet-il. Son projet est ambitieux : à terme, il aimerait voir ce piano sonner lors de reconstitutions historiques ou dans des lieux publics, pour que les gens puissent entendre cet instrument unique et revivre une page d’histoire.
Autrice : Carla P
Crédits Photo : Avec l'aimable autorisation de la Steinway & Sons Collection, La Guardia and Wagner Archives, LaGCC, CUNY