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Comment les marques de luxe deviennent-elles plus durables ?
Publié le 10 avril 2023 à 22h00
Accusé de gaspiller les ressources, de participer à la souffrance animale, tout en générant des profits considérables, l’univers du vêtement de luxe est depuis une vingtaine d’années l’objet de nombreuses critiques. Pourtant, le secteur semble passer en mode détox et se met à la recherche de modèles plus durables. Comment ?
Selon une étude de Oney et OpinionWay de 2020, 90% des consommateurs européens se disent sensibles à la consommation raisonnée et ont le sentiment d’agir pour tendre vers cet objectif. Le monde du luxe échappe-t-il à cette tendance ? Certainement pas, les consommateurs de vêtements de grandes maisons de mode sont de plus en plus exigeants en matière de qualité mais aussi de provenance des produits.
Alors que le marché de la mode arrive encore en sixième position dans la course aux industries les plus polluantes, comment les marques de luxe intègrent-elles le développement durable dans leurs stratégies et objectifs ? Décryptage.
L’abandon de la fourrure et des peaux exotiques
En 2022, Dolce & Gabbana, Moncler et Yves Saint Laurent annonçaient abandonner l’utilisation de la fourrure dans leurs collections. En 2018, c’était le groupe Chanel qui annonçait ne plus utiliser de peaux exotiques dans ses futures créations et soulignait la difficulté de se procurer des peaux exotiques correspondant à leurs exigences en matière d'éthique. « Cette démarche nous incite à inventer une nouvelle génération de produits « ultra luxe », qui s'appuient sur nos fondamentaux comme la créativité, le savoir-faire et les standards d'excellence », indiquait alors la marque dans un communiqué.
Conséquences directes des changements de mentalité et de nouvelles générations de consommateurs aux envies plus éthiques, le luxe a aussi été durablement marqué par les actions de plus en plus soutenues de groupes militants. L’association PETA, qui lutte pour une meilleure éthique dans le traitement des animaux, avait par exemple mis en lumière la souffrance de ceux-ci dans l’industrie à travers plusieurs actions. Aujourd’hui, l’abandon des fourrures animales est devenu l’emblème d’un luxe qui cherche à se réinventer : Chanel, Gucci, Prada, Balenciaga, Moncler ou YSL, elles ont toutes rejoint les 90 % des Français renonçant à ce commerce, selon un sondage de l’IFOP réalisé en 2021.
Faire de la durabilité une part importante de son business model
Mais les entreprises de vêtements de luxe veulent aller plus loin et ne se contentent plus de ces engagements ou de la renommée de leur marque pour répondre aux attentes des consommateurs.
« Réduire son empreinte environnementale, optimiser sa chaîne d’approvisionnement, recycler des produits en fin de vie, réduire les principaux postes d’émission de gaz à effet de serre… cela fait 26 ans que je travaille pour LVMH en tant que directrice environnement et le sujet est toujours aussi complexe pour un grand groupe », explique Sylvie Bernard à l’ADN. LVMH, comme d’autres groupes du monde du luxe, a créé un programme (LIFE, lancé en 2012), pour mesurer la « performance environnementale » de ses produits. La maison française Chanel a pour sa part lancé le programme « Mission 1,5 degré » pour réussir à réduire son empreinte écologique de 50 % avant 2030.
Autant de projets qui semblent désormais s’inscrire au cœur de la démarche de développement économique des marques, qui cherchent à renouveler leur modèle. Des personnalités, comme Stella McCartney, instigatrice du luxe activiste, émergent aussi. Depuis 2021, celle-ci n’utilise plus que des matériaux éco-responsables en cuir végétal dans ses créations. Des démarches qui plaisent aux grandes maisons de mode comme au public et permettent de passer un cap.
Innover et se positionner sur de nouveaux marchés
Pour rester compétitif dans ce nouveau marché de la mode durable, le luxe innove et la nouveauté s’immisce dans toutes ses composantes, notamment la RSE. La très engagée depuis toujours, Stella McCartney, s'est d’ailleurs récemment associée à Radiant Matter, une startup spécialisée dans les solutions textiles durables, pour développer le premier vêtement fabriqué à partir de Biosequins : des paillettes sans plastique, biodégradables et non toxiques. Prada, par exemple, se concentre aujourd’hui sur des solutions textiles fabriquées à base de nylon recyclé issu des déchets plastiques marins. Kering a créé en 2013 le Material Innovation Lab : à la fois une bibliothèque de tissus durables, permettant aux équipes de mieux comprendre les matériaux durables, mais également un moteur de changement au sein d'une chaîne d'approvisionnement très complexe. Enfin, Gucci, marque appartenant à Kering, lance le premier hub de luxe circulaire en Italie, le « Circular Hub » qui vise à accélérer la transformation circulaire du modèle de production de l'industrie de la mode italienne, à travers la redéfinition de l'ensemble de la chaîne de valeur.
Mais toute belle chose n’est pas absolue et les moyens et techniques de production ne permettent pas encore de passer au « tout vegan » et au « produit zéro déchet ». Tradition et innovation ne font pas toujours bon ménage - notamment avec des similicuirs fabriqués à partir de plastique - et explorer des alternatives au cuir animal implique parfois… de revenir au cuir animal. Si l’engagement se met en place, lentement, il existe un écart important entre les injonctions des consommateurs et l’industrie qui n’est pas encore prête. « On perçoit la difficulté pour une marque d’aborder une logique écologique tant l’offre en matière première est encore très faible », déplorait Amélie Pichard, créatrice et fondatrice de la marque éponyme, dans un article sur Medium. Mais habitué à une parole descendante, ordonnatrice, le luxe se confronte à de nouvelles valeurs telles que l’humilité, le ralentissement, le respect, la diversité, le bien-être… Le luxe revient donc de loin.
Autrice : Anaïs F
Crédit Photo : Harley Weir for Stella McCartney