Quand le petit écran joue la carte de la nostalgie. Si les chaînes de télévision ont vu leur audience se fragmenter entre différents supports au cours des dernières années, elles n’ont pas renoncé à l’objectif de rassembler un large public familial autour d’un seul et même programme. Malgré des années d’existence au compteur, des divertissements comme « Koh-Lanta », « The Voice » ou « La France a un Incroyable Talent » continuent de fédérer un large public de tous les âges. Suivies par des millions de téléspectateurs, chacune de ces émissions est devenue emblématique de son époque. Des programmes fédérateurs, familiaux et capables de marquer les imaginaires au point de devenir des références collectives, c’est ce dont les grandes chaînes comme TF1, France 2 et M6 sont perpétuellement en recherche. C’est une des raisons pour lesquelles ces dernières se sont mises à relancer des programmes cultes du petit écran.

Depuis quelques mois, « Le Juste Prix », jeu mythique autrefois présenté par Philippe Risoli, a fait son retour en quotidienne sur M6. Et si les mini-jeux du programme, comme le Tyrolien ou le Fakir, sont toujours d’actualité et que la mécanique reste inchangée, l’émission a été mise au goût du jour pour se conformer aux valeurs de l’époque. Les cadeaux remportés par les candidats sont par exemple pensés pour être plus utiles et plus éco-responsables. Autre retour marquant : en 2022, TF1 a relancé avec succès la « Star Academy », télé-crochet emblématique du début des années 2000 qui a notamment révélé Jenifer, Nolwenn Leroy, Grégory Lemarchal ou encore Olivia Ruiz. Pour ce retour, la chaîne avait largement misé sur la carte de la nostalgie, en plaçant notamment Nikos Aliagas, présentateur historique de l’émission, à la tête du programme et en rouvrant les portes du célèbre château de Dammarie-les-Lys. Un retour couronné de succès, tant auprès des jeunes générations qui ne connaissaient pas le programme que de leurs aînés, et qui a inspiré la plateforme Amazon Prime Video. À la rentrée, cette dernière mettra en ligne une toute nouvelle saison de « Popstars », un format d’émission musicale qui faisait référence à la même époque que la « Star Academy » il y a une vingtaine d’années. Diffusée sur M6, cette émission avait fait connaître M. Pokora, Chimène Badi ou encore le groupe L5.

La télé en mode doudou

Ce retour de « Popstars » sur Amazon Prime Video cache une palanquée d’autres retours annoncés pour la saison prochaine. M6 a ainsi prévu de relancer le jeu « Que le meilleur gagne » autrefois diffusé sur La Cinq, le divertissement « Le Bachelor » mais aussi « Le Maillon Faible », célèbre jeu animé par Laurence Boccolini sur TF1 au début des années 2000. Pour ce come-back, la Six fera appel aux talents du comédien et humoriste Vincent Dedienne, grand fan du programme et des gimmicks de son ex-animatrice. TF1, elle, va célébrer les 25 ans de « Qui veut gagner des millions ? » à l’occasion de deux émissions spéciales. Animé par Arthur, ce revival ponctuel se fera en présence, dans le rôle d’invité, de  Jean-Pierre Foucault, l’animateur auprès duquel les candidats de ce quizz de culture générale devaient certifier leur « dernier mot ». Toujours au rayon des jeux, la chaîne RMC Story s’apprête à donner une seconde vie au « Bigdil », un jeu d’access prime-time qui a fait les belles heures de TF1 entre 1998 et 2004. Vincent Lagaf, présentateur historique du programme, a d’ores et déjà annoncé son retour aux manettes du jeu ainsi que celui de l’extraterrestre Bill, le personnage virtuel star du « Bigdil ». De son côté, France Télévisions travaille sur le retour d’un monument de la télévision française. Autour de l’animateur Nagui, le groupe audiovisuel public souhaite en effet relancer « Intervilles ». Créé en 1962 par Guy Lux et Claude Savarit, « Intervilles » est un programme dans lequel des équipes représentant deux villes concurrentes s’affrontent dans une arène en plein air. Célèbre pour ses vachettes, qui ne reviendront pas si une nouvelle version voit le jour, le jeu a vu défiler de grands noms de la télévision française, dont Guy Lux, Léon Zitrone et Simone Garnier. En 2022, un classement réalisé par Harris Interactive plaçait « Intervilles » parmi les 15 émissions préférées des Français. Reste désormais à voir si l’émission fera bien son retour au catalogue des jeux estivaux cultes de France Télévisions aux côtés de « Fort Boyard » et de « La Carte aux Trésors », émission relancée sur France 3 en 2018 après quasiment dix ans d’absence à l’antenne.

Cette volonté des chaînes de miser sur l’effet nostalgie pour rassembler toute la famille devant le petit écran n’a rien de détonnant dans le monde de l’audiovisuel. Il s’agit même d’une pratique courante des studios de production. Qu’il s’agisse des films ou des séries, il est coutume de voir des programmes cultes être relancés, sous la forme de suites, de reboots ou de remakes. Ces dernières années, cela a notamment été le cas des séries Charmed, Code Quantum, MacGyver, Roswell, Dynastie, Sex And the City, Gossip Girl ou encore Magnum. Le fait de voir aujourd’hui les chaînes françaises s’activer à relancer des jeux fédérateurs, à la tonalité plutôt feel-good, est aussi un témoignage de l’humeur de la société. « La télévision est un média qui rassemble, familial. En ces temps anxiogènes, la télévision traditionnelle est devenue une valeur refuge consensuelle » estime ainsi le sémiologue François Jost. « Aujourd’hui, la télévision est éclatée entre l’ado qui regarde des vidéos YouTube, le père sur Netflix, la mère sur Amazon, etc. Avec le retour de programmes comme la “Star Academy”, on se retrouve à nouveau ensemble devant le même écran, le samedi soir, à partager un moment de télévision en direct », confirme Alexandra Vignolles, directrice de la pédagogie à l’Institut des hautes études économiques et commerciales et autrice d’une thèse sur l’influence de la perception nostalgique dans le rapport aux marques, dans un article du journal « Le Monde » consacré à la « télé-doudou ».

Une réelle demande du public

Professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine, Céline Ségur n’est pas surprise par cet « effet “doudou”, sur lequel les chaînes capitalisent depuis quelques années ». La chercheuse estime que les chaînes de télévision « ont toujours fondé une partie de leur programmation sur l’effet nostalgie ». Selon elle, cette stratégie répond à plusieurs enjeux. Premièrement, ces programmes permettraient de créer une logique de rendez-vous avec le téléspectateur à l’heure où les plateformes avancent leurs pions dans la « guerre de l’attention ». « Proposer des programmes qui ont connu du succès, c’est une manière de dire au téléspectateur : nous vous proposons des rendez-vous avec votre télévision, avec votre chaîne, comme vous aviez l’habitude de le faire il y a dix ou quinze ans » analyse Céline Ségur. Sa collègue Sylvie Pierre y voit elle une stratégie de « panthéonisation des concepts » pour mobiliser son audience. Par ailleurs, les chaînes de télévision capitaliseraient aussi sur l’emballement suscité par l’annonce du retour d’un programme culte. Ce serait aussi pour elles l’occasion de renforcer le lien avec les téléspectateurs et d’élargir le socle de leur public en faisant connaître des programmes culte à des générations qui ne les connaissent pas. Une stratégie gagnante, selon Sylvie Pierre : « Le retour de ces programmes répond à une attente du public qui veut du nostalgique. Pour eux, c’est se replonger dans la mémoire, dans l’imaginaire du passé… ». Alors, seul, en amoureux, en famille ou entre amis, par quelle émission « doudou » vous laisserez-vous tenter ?

Auteur : Pierre D

Crédit photo : skynesher