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S’adapter plutôt que lutter : une station face à l’avenir des sports d’hiver

Publié le 30 décembre 2024 à 08h45

Ski de randonnée à Serre Chevalier
Ski de randonnée à Serre Chevalier

Confrontée au réchauffement climatique et à l’évolution des attentes des visiteurs, Serre Chevalier fait le pari de la transformation. Entre écologie, diversification économique et initiatives locales, la station alpine redéfinit son modèle. Reportage.

Au cœur des Alpes françaises, Serre Chevalier Vallée Briançon, station de sports d’hiver, ne se contente pas de vivre au rythme des saisons. Consciente des bouleversements climatiques, économiques et sociaux qui menacent les stations de ski, elle déploie une stratégie avant-gardiste et pragmatique. Ici, il ne s'agit pas de nier les effets du réchauffement climatique, mais d'imaginer un nouveau modèle. Une transition ambitieuse, destinée à faire de Serre Chevalier un acteur durable et exemplaire.

Préserver son environnement : un combat citoyen

Depuis plusieurs années, le domaine skiable s’est engagé dans une transformation écologique d’envergure. Patrick Arnaud, à la tête du domaine skiable depuis huit ans, en est un acteur convaincu. Avec une humilité teintée de pragmatisme, il déclare : « Nous avons la chance d’évoluer dans un environnement naturel exceptionnel, et c’est à nous qu’il revient de le préserver ». Pour lui, préserver la montagne, c’est avant tout répondre à une responsabilité collective envers les générations futures. Il le souligne avec conviction : « Il ne s’agit pas juste de bien faire notre travail ; il s’agit de contribuer à un objectif national ».

L’objectif de neutralité carbone d’ici 2030, ambitieux pour certains, apparaît ici comme une évidence. Et les résultats sont déjà impressionnants : « Nous produisons aujourd’hui 34 % de l’énergie que nous consommons, exclusivement à partir de sources renouvelables et décarbonées », affirme le directeur du domaine. Cette énergie provient de panneaux photovoltaïques, de microcentrales hydroélectriques et des éoliennes que l’on voit au sommet des pistes.

La démarche ne s’arrête pas là. À Serre Chevalier, chaque aspect de l’exploitation est minutieusement analysé et optimisé. Ainsi, les émissions de CO₂ du domaine, qui représentaient 2 000 tonnes en 2018, ont été réduites à 630 tonnes en seulement cinq ans. « Cela correspond à l’émission annuelle de 63 foyers français », détaille-t-il, calculette à la main. Pour les véhicules utilitaires, la transition du bio-carburant HVO vers l’électrique est en cours : deux véhicules 100 % électriques sillonnent déjà les routes de la station, et d’autres suivront. 

Du laboratoire au « démonstrateur » 

Mais la préservation de l’environnement ne s’improvise pas. Depuis les années 2000, le domaine était le premier à recevoir la certification ISO 14001, un label qui atteste d’une gestion rigoureuse des impacts environnementaux. Selon le directeur, Serre Chevalier joue un rôle de « démonstrateur ». « Nous avons voulu prouver qu’une station de ski peut devenir un acteur de la transition énergétique », explique-t-il. À travers ses projets de production d’énergies renouvelables, la station illustre comment des compétences historiques – comme la maîtrise de l’électricité pour les remontées mécaniques ou de l’eau sous pression pour la neige de culture – peuvent être mises au service d’une nouvelle vision.

Cette volonté de démontrer des solutions concrètes attire l’attention d’autres stations. « Des confrères de l’Alpe d’Huez ou certaines stations pyrénéennes viennent voir ce que nous faisons. Nous partageons volontiers nos chiffres, nos réussites et nos apprentissages, car nous voulons montrer que c’est possible ». Pour autant, il insiste sur le fait que chaque station doit adapter ces pratiques à ses propres spécificités : « Être un démonstrateur, ce n’est pas imposer un modèle unique, c’est inspirer et accompagner. »

La diversification comme clé de « robustesse »

Si l’engagement écologique est évident en hiver, il prend une autre dimension en été, une saison qui représente désormais 40 % des nuitées annuelles. David Chabanal, directeur de l’office de tourisme, observe cette évolution avec satisfaction. « Nous nous approchons d’un équilibre 50-50 entre hiver et été en termes de fréquentation, ce qui reste rare dans notre secteur », explique-t-il. Cette stratégie traduit une volonté de pérenniser l’économie touristique locale. En effet, à l’année, la station offre des opportunités multiples : randonnées, VTT, bains thermaux, parcours de via ferrata ou découverte du patrimoine UNESCO de Briançon. Ces activités séduisent une clientèle en quête de nature et d’expériences authentiques, tout en générant des revenus essentiels pour les acteurs locaux.

Cependant, ce dernier le rappelle : l’hiver reste le pilier économique de la station, générant 75 à 80 % du chiffre d’affaires annuel. L’offre hivernale, bien que centrée sur le ski, s’est diversifiée pour répondre à l’évolution des attentes. « Nous proposons du ski de randonnée, des balades en raquettes, des sorties en chiens de traîneaux ou encore des visites guidées sur le patrimoine local. Ces activités permettent de toucher une clientèle plus large, tout en s’adaptant à la variabilité des conditions neigeuses », détaille-t-il. Grâce à une altitude élevée et à des versants orientés au nord, Serre Chevalier bénéficie d’atouts naturels qui prolongent la durée d’exploitation du domaine skiable. Mais la neige de culture reste essentielle pour garantir la qualité des pistes. Ici encore, la gestion se veut raisonnée, avec un souci constant de limiter l’impact sur les ressources en eau.

Une économie locale indispensable

Pour les habitants de la vallée, l’activité touristique est plus qu’une source de revenus : c’est une condition de survie. Sans elle, la région redeviendrait une zone rurale isolée, confrontée aux coûts élevés de la vie en montagne : chauffage, entretien des routes, habitat. L’économie hivernale, centrée sur l’hébergement, la restauration, les remontées mécaniques et la location de matériel, soutient directement des centaines d’emplois locaux, notamment pour les saisonniers. Mais l’été, bien que moins rentable, joue un rôle complémentaire essentiel pour maintenir cet équilibre.

Pour accentuer cette complémentarité, des initiatives éducatives ont été lancées. L’exemple de l’association Tree2Forest illustre parfaitement cette démarche. Fondée par Pierre Vaultier, double champion olympique de snowboard et enfant du pays, cette association réinvente la sensibilisation environnementale à travers des projets de reforestation impliquant activement les écoliers. Les enfants participent à des ateliers éducatifs en classe, comme « Le puzzle de la forêt », et mettent ensuite en pratique leurs connaissances lors de sessions de plantation en pleine nature. 

Résultat ? Chaque année, l’association plante entre 2 000 et 3 000 arbres en collaboration avec des écoles locales. Ces initiatives, soutenues par des enseignants et des parents enthousiastes, créent un lien unique entre les jeunes générations et leur environnement immédiat. Comme le souligne l’athlète, « planter un arbre est une expérience marquante, qui reste longtemps gravée dans leur mémoire. Quant aux élèves, ils adorent l’idée de contribuer à quelque chose de grand, comme la reforestation. Notre objectif n’est pas de convertir, mais d’offrir à chaque élève une opportunité de mieux comprendre le monde qui l’entoure. »

L’impact local de ces actions est complété par une vision cohérente : rester concentré sur des projets à échelle humaine, en maximisant l’efficacité grâce à des partenariats solides avec les collectivités locales. Cette approche, bien qu’ancrée dans la vallée de Serre Chevalier, inspire d’autres régions et ouvre la voie à une sensibilisation collective au-delà des frontières. Ici, la montagne n’est pas seulement un terrain de jeu : c’est un laboratoire vivant où se réinvente le tourisme de demain. 

Serre Chevalier tente ainsi de démontrer qu’avec une vision à long terme et des choix réfléchis, il est possible de conjuguer attractivité économique, responsabilité environnementale et ancrage local. 

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Mathis Decroux

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