# Économie
Sourceur d’essence : rencontre avec Dominique Roques
Publié le 7 juin 2023 à 22h00
Sourceur d’essence : voilà un titre bien mystérieux. Dominique Roques l’a pourtant été pendant plus de trente ans. Trois décennies durant, il a parcouru le monde à la recherche des senteurs les plus précieuses, de producteurs passionnés et de contrées magiques qu’il raconte aujourd’hui dans un nouveau livre rempli d’histoire(s) et de poésie. Rencontre avec un amoureux de la nature.
« L’idée d’extraire le parfum de la forêt donnait soudainement un sens à ce que j’avais découvert et aimé de mes années dans les bois (…). J’ai posé la tronçonneuse pour découvrir les métiers de la production d’essences, puis celui de sourceur d’extraits naturels pour la parfumerie. Une autre façon d’entrer dans les forêts, celles des arbres à parfum, le périple d’un apprenti bûcheron devenu glaneur de senteurs », raconte Dominique Roques dans son dernier ouvrage, Le parfum des forêts (Grasset, 2023).
Ces arbres, ce sont les pins, ceux qu’on trouve si aisément dans le sud-ouest de la France. Il y a 35 ans, alors que ces arbres sont abattus principalement pour leur bois, un groupe de personnes inspirées par des confrères québécois cherchent un moyen de les valoriser différemment : l’essence des aiguilles de pin est alors évoquée. Dominique Roques sort à cette époque d’HEC, mais revient rapidement à ses premiers amours, les forêts. Au milieu des Landes, il a une révélation : « Coupeur de bois et sourceur de parfum, deux itinéraires divergents mais devenus pour moi complémentaires », écrit-il encore. Avec ces « pionniers » qui voulaient valoriser ces sous-produits de l’industrie du bois, la stratégie est claire : pour être performants et crédibles dans les années à venir en tant que fournisseurs de matières premières pour l'industrie du parfum, il faut se rendre directement à la source, là où ces matières premières poussaient. Et ce, partout dans le monde. Sourceur d’essence, c’est ce métier unique : cueilleur de parfums et globe-trotteur à la recherche du nec plus ultra des senteurs.
A la rencontre des producteurs d’essences
Après cette première expérience dans les Landes, il s’envole vers l'Andalousie pour entreprendre la création et la mise en place d'une usine de distillation et d'extraction de la plante de ciste au cœur des communautés gitanes, dites bouilleurs de gomme. Puis au Maroc, en Turquie, en Bulgarie et à Madagascar. Ces aventures, il les relate dans son premier livre, Cueilleur d'essences, publié en 2021. Il y raconte ce métier « qu'on appelle « sourceur » qui est en réalité acheteur », détaille-t-il. « Sauf que moi, au début, j'étais sourceur en étant producteur ». A la manière d’un carnet de voyage, il rend compte de ses aventures extraordinaires à travers les contrées lointaines où il déniche les trésors olfactifs tant recherchés par les parfumeurs : le jasmin, l’encens, le vétiver. Chaque odeur devient une porte ouverte sur une nouvelle aventure, une véritable ode à la délicatesse et à l'attention portée aux êtres et aux instants précieux partagés.
Son nouveau livre mélange avec habileté des passages autobiographiques, des explorations envoûtantes de forêts majestueuses et des observations fascinantes de ceux qui y travaillent. « J'ai voulu raconter cette histoire et raconter la foison d'autres histoires dans lequel on retrouve ces histoires de rencontre entre les hommes, les arbres et le vivant », souligne Dominique Roques. Au-delà des simples anecdotes, ce livre célèbre la beauté de la nature et l'âme des hommes qui en sont les gardiens. Même les plus modestes et éphémères des aventures prennent ici une dimension fondatrice, dessinant un tableau vibrant de notre relation avec celle-ci. Il est vrai que le parfum extrait des arbres occupe une place primordiale dans l'univers de la parfumerie.
La forêt, mythe(s) et berceau de l’humanité
Le livre de Dominique Roques raconte aussi celui de l’humanité et son lien intime avec les arbres et forêts. Comme lorsqu’il décrivait la magie de l’encens, il s’attarde sur celle du cèdre du Liban, racontant comment le premier bûcheron du monde, Gilgamesh, a bouleversé l'humanité en coupant le premier cèdre : « A ce moment, on bascule de l'arbre qui a été longtemps un arbre abri des hommes primitifs, à l'arbre qui va être utile à la civilisation ».
Grand admirateur de la nature, l'auteur-sourceur, au fil de ses voyages et de ses expériences, a pu approfondir sa compréhension des enjeux sociaux et environnementaux liés à l'industrie du parfum. Selon lui, la sanctuarisation des forêts est urgente. Son rêve est de voir l'humanité se réconcilier avec les arbres en cessant de les considérer uniquement comme de simples matières premières : « Quand on voit la vie qui se prépare dans les villes avec le changement climatique et ce que l'arbre peut faire ! C'est le seul à pouvoir nous sortir de là. Parce que l'ombre, ça va devenir une matière première, presque aussi précieuse que l'eau ». La civilisation nous a-t-elle fait perdre cette relation millénaire avec les arbres ? Dominique Roques nous invite à la retrouver, à réfléchir aux façons de protéger les forêts et, pays par pays, zone par zone, faire revivre l’Arbre.
L’hommage par la littérature
Il ne s’agit pas uniquement de l’environnement. A travers sa carrière, il a pu constater les défis complexes liés aux besoins économiques des populations, l'importance de connaître non seulement l'origine des matières premières, mais aussi les conditions de travail des personnes impliquées. « Partout, il y a des gens qui vivent de ces ressources, qui ont faim, ont besoin de charbon, de bois. L'industrie du parfum est fantastique pour aider ces filières. Le luxe n'est pas dans le flacon, il est dans les ingrédients qui vont dans le flacon », s’exclame-t-il. « Il mélange la beauté des cueilleuses de jasmin en Inde, la valeur des jeunes gens qui montent avec la torche dans le dos faire du Baume du Pérou à Salvador, les gemmeurs d'encens en Somalie, toutes ces histoires portent un petit morceau de l'héritage du patrimoine de l'humanité. Aujourd’hui, il faut les payer comme des matières de luxe, donner une meilleure rémunération à plein de matières premières pour être sûr que les enfants des gens qui les font aujourd'hui auront envie de perdurer ces traditions ».
Désormais consultant freelance, Dominique Roques se livre à travers la littérature pour redonner leurs lettres de noblesse à toutes ces petites mains, ces travailleurs de la terre, ces héritiers de traditions centenaires. « Au fond je n'étais pas un très bon acheteur. J’aime trop les gens pour ça. Quelque part j’ai peut être participé à réinventer ce métier mais il y a probablement des gens qui le font mieux ou différemment », se confie-t-il auprès de L’avenir à du bon. « Plus le temps passait, plus je me sentais proche de ces communautés, de leurs problèmes... Quand on a un peu d'honnêteté, d'intellect et de cœur, et qu’on voit après le prix, ce que valent les parfums, c'est compliqué. J'ai essayé de faire mon boulot correctement. Être acheteur de vanille, par exemple, c’est dément ! On a l'impression d'être au cœur de ce qui se passe dans le monde. J'ai été sauvé dans ces démarches-là par des gens comme Chanyu au Laos ou la reine de la vanille, la merveilleuse Gigi qui, enfant, allait pieds nus crapahuter pour dénicher des gousses faire vivre sa famille qui n’avait rien et, qui, des années après, n'a jamais laissé tomber les paysans ! Pour moi, ce sont des leçons de vie extraordinaires. Mais oui, j'étais probablement beaucoup trop sensible à toutes ces sortes de choses pour être un bon businessman. » lâche-t-il en riant. Son parcours atypique lui a permis d'acquérir une expertise précieuse, nourrie par sa passion pour la nature et sa sensibilité. Comme Cueilleur d’essence, Le Parfum des Forêts se vit comme une épopée et laisse, chez le lecteur, un parfum enivrant de liberté.
Le Parfum des forêts, l’Homme et l’arbre, un lien millénaire, de Dominique Roques. Grasset, 19 €.
Autrice : Carla P
Crédit Photo : MATSAS/Leextra via Leemage